
« Les Québécois sont très bien acceptés en Bourgogne, on n’est pas vus comme des envahisseurs », racontait Patrick Piuze tout récemment, à l’occasion d’une dégustation de ses... 19 chablis du millésime 2008.
Comment est-il venu au vin ? Et pourquoi s’être installé en Bourgogne, plus précisément à Chablis, où il a sa propre société depuis le printemps 2008 ?
Tout cela commença parce qu’il était un piètre élève, ce qui l’amena, un peu par hasard, à suivre des cours de sommellerie, raconte-t-il.
« J’ai suivi les cours de Nick Hamilton (NDLR : aujourd’hui chroniqueur-vin à Voir), au collège LaSalle, en 1991.
Je devais avoir 18-19 ans », dit-il.
Originaire de Saint-Lambert, âgé de 36 ans seulement, il a parcouru, depuis, un très long chemin. Il travailla ainsi, tour à tour, à partir de 1995, d’abord au chai d’un producteur australien, « du travail à la cuverie », dit-il, puis en Afrique du Sud, après quoi retour en Australie, « chez Leaconfield, dans Coonawarra », en Australie du Sud.
Accident de parcours : il tint un restaurant, Le Pinot noir, rue Saint-Denis, à Montréal, en 1997 et 1998.
« Ce n’était pas ma vocation, dit-il. Dans la restauration, tu travailles tout le temps, tu n’as pas de vie. »
Enfin, pas décisif, il mit les pieds en Bourgogne en 2000. « Je suis arrivé pour trois semaines, pour faire les vendanges », dit-il.
Il y est toujours, puisque l’année suivante - en 2001, donc -, le célèbre négociant Olivier Leflaive lui confia la responsabilité de sa cuverie de Chablis, que Leflaive partage avec Verget, la société de négoce de Jean-Marie Guffens.
Autodidacte - comme l’est par exemple le réputé vinificateur Stéphane Derenoncourt, du Bordelais -, et ayant donc tout appris sur le tas, Patrick Piuze y vinifia, pour Leflaive, trois millésimes de ses vins de Chablis, soit 2001, 2002 et 2003.
Vinificateur de grand talent, Jean-Marie Guffens lui a beaucoup appris, dit-il en substance.
Enfin, preuve de son savoir-faire, il passa à l’été 2005 chez Jean-Marc Brocard, l’un des plus grands producteurs de Chablis, cette maison exploitant 115 hectares de vignes - ce qui est énorme pour la Bourgogne.
Ce fut, dit-il, à la demande des deux fils de Jean-Marc Brocard, auxquels leur père a passé le relais et qui, en l’embauchant, lui laissèrent carte blanche.
« J’ai eu deux mois pour passer de 200-250 000 bouteilles chez Leflaive à 4,5 millions chez Brocard ! Là, j’avais six ou sept personnes en cave », dit Patrick Piuze, qui y vinifia les millésimes 2005, 2006 et 2007.
Enfin, il y eut le grand saut en mai 2008 ! Avec l’aide d’autres actionnaires, il fonda sa propre société - nommée simplement Patrick Piuze. « Les gens veulent une signature », dit-il.
« On est cinq actionnaires, poursuit-il, et je ne suis pas majoritaire. Mon comptable a 5%, les trois autres actionnaires sont des partenaires silencieux, qui m’aiment bien et qui ont cru en moi. »
Le Chardonnay
Il faut l’entendre parler du Chardonnay, de sa conception de la vinification, et puis de goûter ses vins, pour réaliser à quel point... ce mauvais élève est talentueux !
« Le Chardonnay est un cépage qui ne goûte rien, souligne-t-il. La peau n’a pratiquement pas de goût, ce sont les lies fines qui vont donner le goût. »
Il devait ajouter, à la dégustation : « Le Chardonnay est un transmetteur du sous-sol et, pour moi, le sous-sol est plus important que l’orientation. »
Le débourbage a donc à ses yeux une importance capitale. Car s’il est nécessaire que les grosses lies au « goût terreux » tombent au fond de la cuve pendant cette opération qui précède la fermentation, le moût doit rester trouble et donc conserver la plus grande quantité possible de lies fines, signale-t-il.
« Pour que le vin ait beaucoup de nourriture. »
Il n’achète que des raisins (pas de moûts, ni de vins faits, par conséquent), et, perfectionniste, c’est lui-même et son équipe qui vendangent, à la main, « les 15 à 18 hectares » que représentent ses achats.
« Chablis, c’est vendangé à la machine à 95% », note-t-il.
Les vinifications ont lieu en cuves d’acier inoxydable, et en fûts pour environ le quart de la production. Mais seulement en fûts qui servent, année après année, depuis 2002, lesquels ne donnent donc pas d’arômes boisés, tout en permettant, mieux que l’acier, une légère oxygénation, et mesurée, des vins.
« Le côté boisé, je n’en veux pas, ça cache la première particularité du chablis, qui est la minéralité », dit-il.
Enfin, pas de bâtonnage chez lui (ce qui consiste à remettre les lies en suspension à intervalles réguliers), « ce n’est pas nécessaire », dit-il, vu sa technique de débourbage.
« Pour l’instant, ajoute-t-il, je fais tout. Je soutire, c’est moi qui lave les fûts, je vais mettre en bouteilles, en cartons... »
Et, dit-il, son comptable l’aide !
Pour ce qui est de la cuverie, en plein coeur de Chablis et dont il dispose par contrat pour neuf années, tout y est fait par gravité (sans chocs pour le vin) et l’équipement y est de grande qualité. « Je n’aurais pas pu rêver mieux. »
Ses 19 vins goûtés avec lui étaient tous des échantillons, bruts de cuve (comme on dit en France), c’est-à-dire non embouteillés. Et, pour qui n’en a pas l’habitude (c’est mon cas), passablement difficiles à goûter dans cet état, certains n’ayant pas encore été traités au soufre (chose essentielle), tous renfermant beaucoup de gaz carbonique, etc.
N’empêche, au nez surtout, également à la consistance en bouche, on voit bien qu’on a affaire à des chablis de haut niveau.
Tous ces vins, dont quatre simples chablis, mais de villages différents, puis huit premiers crus et cinq grands crus, seront vendus (hélas !) en importation privée seulement, par l’agence La Céleste levure (514-948-5050), à des prix qui iront de 29$ à 137$ environ pour ce qui est de son Chablis Grand Cru Grenouilles 2008, dont il n’aura que 300 bouteilles.